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L’OMC face au défi du plurilatéralisme

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L’accord signé en décembre dernier par 67 des 164 pays membres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a fait la joie de João Aguiar Machado, représentant permanent de l’Union européenne auprès de l’organisme. La conclusion des négociations est venue comme une respiration pour un organisme qui n’était pas parvenu à un résultat significatif depuis 2013. Le texte vise à simplifier les procédures administratives et réglementaires relatives aux échanges de services, qui représentent aujourd’hui plus de 20 % du commerce mondial.

Une respiration, car l’OMC traverse aujourd’hui une crise profonde, incapable de conclure le cycle de Doha, ouvert en 2001, et de réguler le commerce mondial. Celle qui a pris le relais du General agreement on tariffs and trade (Gatt) au 1er janvier 1995 ne semble également plus en mesure de remplir sa fonction de règlement des conflits commerciaux. Les États-Unis, en particulier, se sont opposés au renouvellement des juges d’appel de son Organe de règlement des différends.

De nombreux observateurs voient l’avenir de l’OMC dans le développement du plurilatéralisme. Par accord plurilatéral, on désigne un traité signé entre un nombre limité de pays en vue de libéraliser les échanges dans un secteur en particulier. Cette libéralisation peut se faire « à géométrie variable », étant donné que disparaît le besoin d’un consensus entre un panel très large de pays comme c’est le cas à l’OMC. La généralisation de ces accords mettrait également fin au principe de l’engagement unique, en vertu duquel aucun thème de négociation ne peut faire l’objet d’un accord séparé. C’est l’adage « rien n’est conclu tant que tout n’est pas conclu ».

Les accords plurilatéraux en vigueur reconnus par l’OMC sont à ce jour au nombre de quatre. Les deux premiers sont entrés en vigueur au début des années 1980, à la suite du Tokyo round. Ils concernent le commerce des aéronefs civils et l’octroi de marché publics et unissent respectivement 33 et 48 parties. Le troisième, signé à l’origine par 29 participants de la Conférence ministérielle de l’OMC qui s’est tenue à Singapour en décembre 1996, porte sur les technologies de l’information. Outre la signature de l’accord de décembre dernier, des négociations plurilatérales sont en cours sur le commerce électronique (86 pays participants), les biens environnementaux (46 pays participants), les services (50 pays participants) et la participation des Micro, petites et moyennes entreprises (MPME) au commerce international (91 pays participants).

Avec la multiplication des accords plurilatéraux, l’OMC deviendrait alors un « club de clubs », selon l’expression de Robert Z. Lawrence, professeur à Harvard et ancien conseiller économique du président Clinton. Cette dynamique de « petits pas » semble cependant conduire à une libéralisation globale des échanges autant qu’elle risque, au contraire, de déboucher sur une nouvelle fragmentation du multilatéralisme. Plusieurs arguments plaident en fait pour chacune des deux thèses.

Préparer le terrain au multilatéralisme

La première thèse est celle du « plurilatéralisme ouvert » ou « plurilatéralisme inclusif ». Les accords plurilatéraux conclus dans le cadre de l’OMC ont, par définition, une vocation multilatérale : tout membre de l’OMC non-signataire d’un accord plurilatéral existant pourra y adhérer par la suite.

Par effet domino, un nombre croissant de pays ont donc adhéré aux différents accords plurilatéraux existants. Ainsi, l’Accord sur les Marchés Publics et surtout l’Accord sur les Technologies de l’Information ont exercé un effet d’attraction sur les pays tiers. Le second, signé au départ par 29 pays, comprend aujourd’hui 82 pays réalisant 97 % du commerce des produits des technologies de l’information.

Pareil accord peut, à titre expérimental, préparer le terrain au multilatéralisme. Il permet en effet de mesurer l’intérêt des pays membres de l’OMC pour un sujet que l’on envisage de mettre à l’ordre du jour de l’agenda. La « multilatéralisation » des accords plurilatéraux se trouve d’ailleurs facilitée lorsque la clause de la nation la plus favorisée est incorporée. Dans ce cas, les pays tiers ou non membres bénéficient en effet des avantages qui sont accordés aux pays membres.

Logique d’exclusion

Il y a cependant un revers à la médaille. La multiplication des accords plurilatéraux présente également des risques pour le multilatéralisme. Comme nous le soulignions dans une recherche récente, le danger principal est celui d’une fragmentation du système commercial mondial.

Coexisteraient en effet deux types de pays, les « insiders », c’est-à-dire les pays membres des accords plurilatéraux, et les « outsiders », ceux qui en seraient exclus. Parmi ces derniers, devraient figurer la plupart des pays les moins développés. Dans les premières expériences d’accords, il apparaît déjà que les sujets des négociations sont choisis par les pays ayant un poids important dans le commerce mondial. Les services, le commerce des produits des technologies de l’information, ou les marchés publics sont des sujets d’un grand intérêt pour ces pays mais qui restent peu pertinents pour la très grande majorité des pays les moins développés.

Les pays en développement les plus pauvres ne souhaitent d’ailleurs pas adhérer à l’accord sur les technologies de l’information, de crainte que leurs entreprises du secteur ne soient rapidement éliminées par la concurrence d’entreprises étrangères plus compétitives.

Autre symbole de cette logique d’exclusion, aucune proposition de négociation commerciale plurilatérale ne porte, à ce jour, sur les produits agricoles. Il s’agit pourtant là d’un secteur dans lequel bon nombre de pays en développement sont très compétitifs.

On pourrait objecter à l’argument selon lequel les accords plurilatéraux visent à marginaliser les pays les moins développés que ces derniers pays auront tout loisir d’y adhérer quand leurs économies se seront développées. Soulignons cependant qu’il est difficile de rejoindre après coup un accord commercial déjà négocié, car il devient alors difficile de faire prévaloir ses intérêts.

Éviter le « bol de spaghettis »

Une règle émergente tend également à dire qu’un accord plurilatéral ne peut être « multilatéralisé » que si une « masse critique » de pays en est partie prenante. Cette masse critique permet de se prémunir du risque de comportement de passager clandestin de la part des principaux acteurs.

Cela favorise la marginalisation et l’exclusion des pays les moins développés. En effet, en raison de leur faible poids dans les échanges mondiaux, ces pays ne sont pas en mesure de constituer de masse critique et sont donc exclus a priori des négociations en vue de conclure des accords plurilatéraux à vocation multilatérale.

En résumé, face à la crise de l’OMC et au risque de démantèlement du système multilatéral actuel, le cadre de négociation plurilatéral constitue une étape intermédiaire pouvant conduire à terme à un multilatéralisme consolidé et renforcé. Ce but ne peut cependant être atteint que si les pays en viennent à s’accorder sur un certains nombres de principes.

Les accords plurilatéraux semblent devoir être ouverts à tous les membres, y compris, et surtout, aux pays les moins développés. Ceux-ci doivent faire l’objet d’une attention particulière, participer aux négociations et pouvoir adhérer aux accords existants lorsqu’ils le souhaitent.

Par ailleurs, une coordination doit être établie entre les différents accords plurilatéraux afin d’éviter tout chevauchement pouvant déboucher sur l’adoption de règles divergentes sur des questions proches, voire identiques. On parle de « bol de spaghetti de règles ». Une place doit, pour cela, être réservée pour des études d’impacts ex ante et des évaluations ex post des accords plurilatéraux.

Il paraît, enfin, important que les négociations soient menées de manière transparente. Le succès de la dynamique plurilatérale en cours semble dépendre dans une large mesure de l’adoption et du respect de ces principes.

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Michel Dupuy, Professeur d’économie internationale, Université de Bordeaux

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.

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